Le long du canal

Au cours du confinement du printemps 2021, j’ai eu la possibilité de m’exiler au vert. J’ai aussi pu bénéficier d’un peu de tranquillité certains jours, une petite parenthèse sans enfant (qui marche) pour m’aérer l’esprit.

J’ai ainsi pu marcher dans un environnement rural, bien moins bétonné que d’habitude. Ma préférence allait aux berges d’un petit canal qui sinue entre quelques quartiers pavillonnaires et une forêt.

Les arbres vous abritent du vent et de la pluie. Quelques colverts s’ébattent tranquillement dans l’eau peu profonde, striée d’algues noires et vertes.

Le silence, là-bas, est réconfortant, vivant. Peuplé par la rumeur de la forêt.

C’est là que j’ai fait une découverte : le meilleur moyen pour moi d’ouvrir les vannes à idées, c’est de marcher en pleine nature. Donner à mon corps cette liberté, ce mouvement, ce bien-être, donner à mes sens cette nature reposante à savourer, tout cela m’apaise et ouvre le champ à mes idées. Très vite, elles tourbillonnent au gré du courant, des vents, de la respiration des lieux.

Ces idées ne concernent pas forcément l’écriture. Mais il est rare que le projet en cours ne fasse pas partie de ce foisonnement neuronal.

Tout s’ordonne. Tout s’éclaire. Les blocages se lèvent. Des idées de génie fulgurent. Malheureusement, leur aspect génial ne perdure pas souvent. En général, après un petit temps, leur côté évident et astucieux me paraît moins évident. Mais au moins, je progresse dans mon travail de création.

Mon roman en cours a vraiment bénéficié de ces balades. En fait, sans elles, il serait peut-être encore au pied d’un mur de non-inspiration.

Je suis encore loin de la fin du premier jet, mais j’avance dans sa construction.

Pour avoir essayé, cette libération de l’inspiration ne fonctionne pas quand je marche accompagnée, car alors je ne laisse pas la bride sur le cou de ma muse. Et la verdure est aussi indispensable au processus (ça me donne envie de déménager !).

Donc… vive les bains de forêt !

La valeur du présent

Pour ceux qui ont comme moi la chance (si si) de ne pas en vivre, l’écriture peut (et doit ?) ralentir son rythme en ces temps de pandémie.

Parce que l’industrie du livre souffre déjà en temps normal de surproduction. Parce que l’année dernière, de nombreuses nouvelles publications ont été mises en attente : difficile de sortir une nouveauté quand les librairies étaient fermées, sans parler des salons du livre (oh non, n’en parlons pas !). Du coup, les calendriers de publication se décalent, l’attente s’éternise. Certaines autrices et auteurs espéraient une publication en 2020 ou 2021, qui sont contraints d’attendre quelques mois, voire années.

Dans ces conditions, les maisons d’édition mettent le holà. Ils ferment leurs services « manuscrits ». Quand ils ne ferment pas tout court..

Alors, faut-il écrire moins ? Accumuler les manuscrits dans un tiroir ? Chercher et dénicher les maisons qui acceptent encore de nous lire, parce qu’elles ont du temps, de la place, des perspectives d’avenir ?

Chacun et chacune sa bonne réponse.

En ce qui me concerne, avec trois jeunes enfants, dont un pour lequel l’âge se compte encore en semaines, je n’ai de toute façon que peu le temps d’écrire en ce moment. Quelques-uns de mes romans tournent chez les éditeurs, mais c’est vrai que j’ai l’impression de traverser un désert éditorial et pour encore un certain temps.

Dans ces conditions, ce serait facile de lâcher l’affaire. De me concentrer sur d’autres activités (dormir ?).

Pourtant, plus que jamais, l’acte d’écrire porte en lui-même sa récompense.

Peut-être que toutes ces histoires ne quitteront jamais mes tiroirs. Qu’elles ne seront connues que de mes proches, mes enfants en particulier (quand ils auront l’âge).

C’est un peu triste comme idée, mais comment savoir ?

La pandémie m’a appris, et continue à m’apprendre, la valeur du présent. Bien sûr, je peux passer du temps à regretter les instants, le monde, ma vie passés. Ou à anticiper le futur et à angoisser. À m’apesantir sur toutes les frustrations que cette époque génère.

Ou alors, pour ne pas devenir folle, dépressive, voire les deux, je peux… savourer.

Savourer cette gorgée de thé à la température parfaite. Savourer ce moment, fût-ce une minute ou une heure, de silence (les jeunes parents me comprendront).

Savourer enfin cette incursion dans… un arbre. Un baobab. À écouter le chant du vent dans les branches dénudées. À imagnier l’odeur de l’écorce, des fleurs, des fruits. À sentir l’effort fourni par mon héroïne pour escalader branche après branche.

Puis, une fois revenue dans le monde réel, où je change des couches, planifie des repas et entretiens un semblant de discipline, savoir que cet arbre existe encore, dans un cahier, sur un disque dur, et bien sûr dans ma propre tête.

Crédit photo : Themeinn sur Unsplash